Transparence des marchés publics – Lettre ouverte à Emmanuel Macron

Lettre ouverte à Emmanuel Macron : transparence des marchés publics

Quelle transparence à l'heure du relèvement des seuils à 40 000 € ?

Lettre ouverte à l’attention de M. le Président de la République Française

Monsieur le Président,

En 2016, vous étiez alors Ministre de l’Economie, je me suis permise de vous adresser une lettre ouverte, afin de vous interroger au sujet de la transparence des marchés publics, suite à la consultation publique menée en amont de votre décret.

Votre cabinet m’avait répondu de rester confiante car toute la transparence était prévue pour 2018.

Force est de constater qu’il n’en est rien. Je me permets donc à nouveau un pas vers vous.

La transparence dans les marchés publics

La transparence dans la vie politique, et de fait dans les marchés publics était l’un des fondements de votre campagne. La moralisation de la vie publique, l’exemplarité… Autant de termes qui, selon nous, n’ont pas trouvé d’écho dans les mesures prises.

En effet, actuellement la transparence n’est pas au rendez-vous.

Depuis octobre 2018, les résultats de marchés doivent être publiés dans les deux mois de la signature du marché. C’est très bien ! Cependant comme aucune « centralisation » n’est appliquée, il est impossible de trouver cette information « facilement ». Certains publient les résultats du leur profil d’acheteur, sur lequel ils ont déposé le marché (ils sont assez rares…), d’autres les publient sur le site data.gouv.fr, mais sans aucune centralisation, ni dénomination commune qui permettrait de trouver une information rapidement et clairement, d’autre encore ne publient rien, mais il est tellement difficile d’accéder à ces informations qu’on ne peut savoir si elles sont publiées ou non.

En d’autres termes, cette contrainte de publication ne représente en pratique que de la « poudre aux yeux ».

Beaucoup d’acheteurs refusent de fournir les résultats de marchés, que la demande soit faite par mail ou par téléphone. Il faut saisir la CADA pour obtenir des informations qui pourtant devraient être transmises sur simple demande. Nous sollicitons la CADA environ 40/50 fois par an ! J’imagine que nous ne sommes pas les seuls… Cet organisme doit perdre un temps fou pour faire appliquer la réglementation. Pourquoi les acheteurs refusent-ils de fournir ces informations, pourtant publiques ?

Le premier réflexe d’une entreprise, d’un fournisseur, c’est d’en déduire qu’il y a quelque chose à cacher. La défiance est en constante augmentation, car la réglementation actuelle donne l’impression de leurrer les fournisseurs. Que les acheteurs font ce qu’ils veulent, sans avoir à être particulièrement inquiétés… D’ailleurs, aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect de leurs obligations : autant dire qu’elles n’ont pas grande valeur.

Est-ce là votre souhait de transparence ?

Voici quelques propositions concrètes pour en finir avec cette défiance, pour réellement proposer une transparence.

Une plateforme unique, proposée par l’Etat

En tant que praticiens quotidiens, nous rêvons d’une plateforme unique proposée par l’Etat. Vous  auriez aujourd’hui les moyens techniques de le faire !

Un profil d’acheteur centralisé, où l’ensemble de tous les marchés publics, quelle que soit la procédure et quel que soit le type d’acheteur, soient centralisés pour :

  • Déposer les avis
  • Déposer les DCE
  • Permettre les échanges et les dépôts dématérialisés
  • Publier les résultats
  • Permettre une recherche avancée et un export des données
  • Proposer un coffre-fort électronique

Cela permettrait :

  • Une totale transparence : toute l’information est accessible
  • La facilitation de l’accès aux marchés à toutes les entreprises (qui se contentent souvent de consulter la même plateforme ou de mettre quelques alertes)
  • D’éviter que des opérateurs privés commercialisent les DCE (oui, en 2019 encore, des entreprises mal informées achètent des DCE, pourtant gratuits, à des plateformes qui les commercialisent !)
  • Le gain de temps pour tous les opérateurs économiques : un seul compte à créer (une seule fois l’enregistrement, le dépôt des pièces…)
  • Un référencement automatique de tous les opérateurs qui se sont inscrits sur la plateforme, avec un bénéfice de centralisation du sourcing pour les acheteurs publics

Le coût de cette plateforme représente un investissement. Celui-ci pourrait être rentabilisé par :

  • La suppression des recours qui sont engagés du fait même de l’opacité des résultats, parfois par simple suspicion
  • Le transfert des coûts de publication des marchés sur des plateformes privées vers la plateforme de l’Etat
  • La participation éventuelle des opérateurs économiques pour bénéficier d’un coffre-fort électronique

Cela apporterait en outre :

  • Une plus grande confiance des opérateurs dans les marchés publics, grâce cette une démarche concrète de transparence
  • Une véritable centralisation des données
  • La facilitation des études, du sourcing, de l’exploitation des données publiques
  • L’émergence de nouveaux services issus de l’exploitation de données fiables puisque centralisées

Une obligation de fournir les renseignements demandés par les opérateurs économiques, assortie d’une sanction en cas de non-respect

De nombreux acheteurs jouent de la méconnaissance des opérateurs économiques pour se dispenser de répondre aux demandes de ceux-ci.

Même lorsque nous arguons les références juridiques applicables, certains d’entre eux bottent en touche et nous refusent des informations auxquelles nous avons droit.

Cela génère des échanges crispés, une perte de temps considérable, le coût des différents courriers recommandés, le temps des juristes et agents du service public qui nous refusent les informations, se renseignent etc…

Une mesure simple et concrète serait d’assortir la réglementation d’une sanction en cas de non-respect de l’obligation d’information, et d’en informer l’ensemble des acheteurs publics.

En effet, tout ce temps perdu par l’opérateur économique qui se voit refuser l’information demandée constitue une sorte d’abus de pouvoir. Et l’opérateur économique n’a d’autre moyen que de saisir la CADA (qui perdra également du temps), et de perdre encore un mois ou deux avant d’obtenir son information…

Si cette obligation est connue de tous les acheteurs publics, nous éviterons tous les refus dus à une méconnaissance. Si cette obligation est assortie d’une sanction, nous éviterons tous les refus « de principe ». C’est une économie substantielle en temps pour les agents publics, incluant la CADA !

L’accès des TPE et PME aux marchés publics & relèvement du seuil de publicité et mise en concurrence prévue par décret en 2020

L’accès des TPE et PME aux marchés publics est depuis longtemps une préoccupation de l’Etat, mais de plus en plus du grand public. En effet, l’évolution du marché du travail montre que l’on tend de plus en plus vers la création de son propre emploi, et donc que le nombre d’indépendants et de TPE n’aura de cesse d’augmenter.

Alors que cette préoccupation est importante, et que des efforts sont louables et efficaces (allotissement notamment, avance…), l’accès des TPE/PME aux marchés publics est également instrumentalisé.

En effet, lorsque l’on peut lire dans la presse que le relèvement du seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence est relevé « pour faciliter l’accès aux TPE/PME à la commande publique », nous sommes dubitatifs.

Il est tout à fait juste de dire que les procédures d’achat public sont complexes et chronophages pour les acheteurs publics. Mais doit-on rappeler que les deniers utilisés sont ceux des contribuables ? Ceux-là même qui demandent plus de respect, plus de moralisation, plus de transparence ? La difficulté du métier d’acheteur public, et la difficulté, plus grande encore, des petites collectivités qui doivent se tenir aux procédures sans moyens humains internes justifient-elles de donner une plus grande liberté d’utilisation des deniers publics ?

Voici les mécanismes qui s’enclenchent à l’annonce d’une hausse des seuils de publicité et de mise en concurrence :

  • Les acheteurs publics voient ces hausses d’un bon œil :
    • Il y aura moins de procédures
    • Une plus grande liberté dans l’achat
    • Moins de justification…
  • Pour les opérateurs économiques « déjà connus des acheteurs »
    • Pas besoin de répondre à un appel d’offres pour remporter un marché
    • Il sera plus facile de travailler sur la commande publique sans la procédure
    • Les marges seront meilleures (gré à gré)
  • Pour les opérateurs économiques « inconnus des acheteurs »
    • On ne sera plus informés des marchés, donc moins d’opportunités
    • On ne pourra répondre que sur de plus gros marchés (supérieurs à 40 K€) : c’est le hors-jeu pour bon nombre de TPE, sauf à se constituer en groupement…
    • Ces marchés seront confiés à des entreprises déjà connues, donc c’est la fin de l’égalité des chances sur un segment supplémentaire de marchés (ceux entre le seuil précédent et le nouveau)

Objectivement, quel est le message à la lecture de ce graphique ?

Autrefois, on devait rendre des comptes pour tous les achats, sauf les tous petits marchés courants. Aujourd’hui, on peut planifier les achats pour qu’ils restent opaques sans que les acheteurs publics puissent être inquiétés…

Si le relèvement des seuils peut présenter des avantages pour les acheteurs publics, si l’objectif réel est de favoriser l’accès aux TPE/PME comme c’est argumenté publiquement, alors pourquoi ne pas relever le seuil de procédure, permettant plus de souplesse, tout en contraignant à une publicité allégée pour plus de candidats, plus de confiance ?

L’avis de marché simplifié pourrait seulement indiquer le besoin sommaire et les coordonnées de l’acheteur, ainsi tout opérateur pourrait potentiellement se positionner. Hélas, le projet de décret n’inclut aucun avis de marché…

Les dispositions de publication des résultats de marchés inscrites au même projet de décret sont « au choix » :

« L’acheteur rend public les marchés conclus en application du présent article et qui répondent à un besoin dont la valeur est égale ou supérieure à 25 000 euros hors taxes, dans les conditions suivantes : « 1° soit l’acheteur offre, sur son profil d’acheteur, un accès libre, direct et complet aux données essentielles de ces marchés conformément aux dispositions de l’article R. 2196-1 ;

« 2° soit il publie au cours du premier trimestre de chaque année, sur le support de son choix, la liste de ces marchés conclus l’année précédente. Cette liste mentionne l’objet, le montant hors taxes et la date de conclusion du marché ainsi que le nom de l’attributaire et son code postal s’il est établi en France, ou le pays de son principal établissement, s’il n’est pas établi en France. » ;

Une telle rédaction du décret dilue encore l’information ! Plusieurs lieux possibles pour la publication, et surtout un temps bien trop long pour le choix de publication annuelle !

Cela crée d’une part une nouvelle incertitude quant au lieu de collecte de ces informations, mais également une quasi-impossibilité d’accéder aux résultats de marchés dans un délai acceptable pour obtenir un complément d’information, ou éventuellement pour contester le marché.

Quid de la justification des choix opérés par les acheteurs ?

Si vous décidiez d’opter pour une publicité allégée, les candidats évincés pourraient obtenir sur simple demande, un courrier précisant les raisons pour lesquelles un autre opérateur a été choisi. J’en profite pour glisser que si un rapport d’analyse des offres « allégé », ou une note justificative, même très sommaire, était rédigé pour chaque achat, cela suffirait à satisfaire les attentes des candidats, et à faire décroître la défiance !

Ce serait une réelle avancée pour toutes les entreprises. Permettre plus de souplesse par moins de formalisme est louable, en revanche supprimer volontairement l’information ou la rendre sciemment nébuleuse (absence d’avis de marché / avis d’attribution à la carte) concernant des marchés de plus en plus gros (4000€ Vs 40K€) relève selon nous d’une volonté manifeste d’opacifier les achats publics. Supprimer la procédure oui, supprimer la transparence, non !

Sachant que notre témoignage est probablement à contre-courant, mais espérant vivement le porter à votre connaissance, car il relève d’une réalité de terrain,

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos respectueuses salutations,

Gladys PERSONNAZ